Mémoires d’une geisha de Yuki Inoue : plongée dans l’univers feutré des geishas de Kanazawa

Née en 1892, vendue à l’âge de huit ans, Kinu Yamaguchi fera l’apprentissage du dur métier de geisha. C’est un peu l’envers du décor qu’elle raconte : avant de porter le kimono de soie, il lui faudra vivre un apprentissage rigoureux, étudier tous les arts de divertissement et endurer pour cela privations, exercices physiques traumatisants, soumission aux coups sous les ordres de la « Mère » et des « grandes sœurs ». Après son initiation sexuelle, elle s’enfuira, puis reviendra vivre dans le « quartier réservé » avant de devenir elle-même patronne d’une maison de geishas. Récit bouleversant, description édifiante de la vie de tous les jours dans l’intimité d’une okiya, avec ses cérémonies, ses coutumes, ses fêtes et ses jeux. On y entend des histoires de plaisirs, de chagrins, de courage aussi, qui éclairent sous un jour nouveau ce monde fermé sur lequel l’Occident ne cesse de s’illusionner (résumé de l’éditeur).


mecc81moires-dune-geisha-600x924J’avais découvert l’année passée le  Geisha de l’écrivain américain Arthur Golden (Memoirs of a geisha), roman qui m’avait totalement conquise. Forte de la bonne impression laissée par cette lecture mémorable, j’ai décidé de m’attaquer à un autre livre traitant du même sujet et au titre très similaire, Mémoires d’une geisha de Yuki Inoue. L’oeuvre d’Arthur Golden, publiée en 2012, a fait plus de bruit et a été adapté au cinéma par Rob Marshall en 2005. Néanmoins, nuance de taille, on avait alors affaire à une oeuvre de fiction ; ici, tout est pour ainsi dire vrai, puisque l’auteure nous livre le témoignage sans concessions d’une authentique geisha. Il va être difficile d’éviter la comparaison entre ces deux livres, à la fois si proches et si différents mais que j’ai tous deux beaucoup appréciés.

Dans les années 1980, Yuki Inoue a recueilli le témoignage de Kinu, devenue geisha entre les années 1920 et 1930, dans le quartier des plaisirs de Higashi-Kuruwa, à Kanazawa. La jeune femme, rebaptisée de son nom de scène Suzumi, fera partie des geishas les plus en vogue de son époque et fondera par la suite sa propre okiya. Parcours semé d’embûches, la vie de cette femme méritait bien qu’on lui dédie un roman.

Les geishas exercent une fascination sur les Occidentaux. Souvent confondues avec des prostituées, leur nom signifie « celles qui pratiquent les arts ». Musique et danse traditionnelles n’ont aucun secret pour elles. Mémoires d’une geisha fait état de la dure réalité du métier au début du siècle dernier.  Ces jeunes femmes mènent une vie faite de sacrifices : vendues très jeunes à l’okiya par leurs parents, elles n’ont pas d’enfants, se marient rarement, et n’ont parfois pas d’autre choix que de vendre leur corps pour subvenir à leurs besoins. Ce récit empreint d’un profond réalisme va à l’encontre des clichés encore tenaces à l’égard de ces femmes. Kinu nous confie les moindres détails de cette vie contraignante, y compris les moins reluisants.

L’écriture et le ton adopté par Yuki Inoue sont plus « journalistiques », bien plus francs, là où Arthur Golden s’évertuait à trouver des tournures supra-poétiques aux accents nippons. Ce livre a tout de même réussi à m’emmener ailleurs et à me captiver. À travers les yeux de Kinu, il brode le portrait d’une époque, d’un monde à part, à la fois de luxueux et misérable. Gros charme de ce livre, l’édition est illustrée de photos d’époque, où l’on voit Kinu poser dans ses superbes kimonos et arborer coiffure et maquillage traditionnels. Bien qu’elle s’exprime de temps à autre, l’auteure laisse la pleine parole à l’ancienne geisha, sans exprimer d’avis personnel, qu’il soit positif ou négatif sur les us et coutumes du siècle dernier.

En conclusions, Mémoires d’une geisha se révèle un documentaire précieux sur un mode de vie (heureusement ?) disparu aujourd’hui, et dont les mythes continuent d’alimenter les fantasmes. Au cours de ma lecture et pendant l’écriture de cette chroniques, je n’ai pu éviter de le comparer avec Geisha : il s’agit en effet de deux œuvres à la fois similaires et pourtant si différentes : le roman d’Arthur Golden séduit avec facilité : il propose une fresque romanesque qui en met plein les yeux et le lecteur, émerveillé, ne peut qu’être séduit. Ce qui est beau déplaît rarement. Quant à Yuki Inoue, elle nous offre un point de vue bien différent, bien plus réaliste et parfois cruel porté sur sa propre culture. Son livre décrit de l’intérieur la condition finalement peu enviable de ces femmes. C’est fort dommage que le succès de l’un ait en quelque sorte éclipsé l’existence du second, plus proche du documentaire mais ô combien enrichissant. Mémoires d’une geisha est un must-read pour quiconque s’intéresse à la culture nippone.

8/10.

« Le quartier de plaisirs était un monde à part où la crainte de déranger le voisin n’existait pas. On jouait du tambour en pleine nuit, des femmes et des hommes s’enlaçaient en plein milieu de la rue, et personne n’y trouvait à redire. Mais Kinu vivait depuis l’âge de huit ans dans un endroit très particulier qui ressemblait à un village, et à la question de Tatsukichi lui demandant si elle voulait devenir rapidement une geisha, son cœur battait très fort, heureuse que son aînée lise en elle son impatience et son envie de devenir une geisha. »


Mémoires d'une geisha, Yuki Inoue (1980)
Genre : biographie
280 p.
Source image : http://www.editions-picquier.com/ouvrage/memoires-dune-geisha-2/

Une réflexion sur “Mémoires d’une geisha de Yuki Inoue : plongée dans l’univers feutré des geishas de Kanazawa

  1. Oui, bon, je sais qu’il faut que je le lise, ça va hein, j’ai compris ! 😛 (Ma meilleure amie me tanne avec ce livre depuis au moins trois ans x))

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